« Contrats de ville 2015-2020 : les professionnels ne sont pas prêts » via Localtis

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Contrats de ville 2015-2020 : les professionnels ne sont pas prêts

Un article de Localtis qui s’appuie sur l’enquête de l’inter-réseau DSU. Comme le souligne sa présidente (ici), il importe de rappeler pourquoi…

François Lamy n’est plus aux manettes pour faire le service après-vente de sa réforme de la politique de la ville. Or après une concertation rondement menée et un passage sans heurt au Parlement de sa loi de programmation pour la ville et la cohésion urbaine, promulguée le 21 février 2014, vient le temps de la mise en œuvre. Et là, les professionnels de la politique de la ville, sur le terrain, préviennent que ce sera… compliqué.

« L’hypothèse de signatures de contrats de ville pour janvier 2015 paraît totalement irréaliste ou contre-productive » aux professionnels de la politique de la ville. Telle est l’une des conclusions de l’enquête nationale menée par l’Irdsu (Inter réseau des professionnels du développement social urbain) auprès de son réseau sur les conditions de pilotage et d’ingénierie qui devront être mises en œuvre pour la préparation des nouveaux contrats de ville.

Ils sont 113 professionnels de terrain à avoir répondu, à la fin de l’année 2013. Ils sont quasiment tous chefs de projets ou chargés de mission Cucs (contrats urbains de cohésion sociale), de la politique de la ville, de la cohésion sociale ou de la rénovation urbaine. Un peu plus de la moitié travaille pour une commune, un peu plus d’un tiers dans une intercommunalité et le 10% restant pour un conseil général, une association, un bailleur ou sont agents d’Etat. Ils sont issus de 18 régions métropolitaines dont 40% d’Ile-de-France (*).

Dans leur ensemble, ils ne remettent pas en cause les principes de la réforme nationale de la politique de la ville : mobilisation des moyens de droit commun en faveur des contrats de ville, pilotage intercommunal des contrats de ville, participation accrue des habitants, mise en place d’outils d’observation. Mais de la théorie à la pratique, ils montrent qu’il y a un pas de géant.

Pas de stratégie « globale cohérente et lisible » sur le droit commun

« Ce qui est frappant dans cette enquête, souligne l’Irdsu, c’est la difficulté à définir une stratégie globale cohérente et lisible sur le droit commun », que l’on parle des moyens de l’Etat ou de ceux des collectivités. « Les définitions sont confuses, les objectifs peu clairs et le travail d’identification très incomplet. » Et c’est peu dire… Concernant l’identification des moyens de droit commun provenant de l’Etat, 28% des répondants ne savaient même pas, à la fin de l’année 2013, si le travail avait été engagé et 52% assuraient qu’il ne l’avait pas été. Seulement 20% en disposeraient, mais alors uniquement sur certains thèmes (recensement des crédits de droit commun dans les Cucs, état des lieux des dispositifs d’aide au retour à l’emploi, financements des centres sociaux…).

Et ce n’est pas faute d’avoir essayé, lit-on entre les lignes. « Les territoires qui se sont attaqués à la question notent la difficulté technique de l’exercice, voire l’impossibilité de le mettre en œuvre », indique l’Irdsu.

Le réseau pointe notamment « la difficulté à décliner localement les conventions interministérielles nationales ». Une difficulté à laquelle se heurteront très vite les préfets de région qui doivent adresser, avant le 30 avril, « un premier bilan de l’année 2013 » de cette fameuse déclinaison territoriale des conventions interministérielles (suivant l’instruction du 26 mars 2014 du Premier ministre, voir notre article ci-contre du 4 avril 2014).

La nécessité d’une réorganisation de l’Etat local

Pour mieux mobiliser les moyens de droit commun de l’Etat, près des deux tiers des professionnels de la politique de la ville estiment qu’une réorganisation de l’Etat est nécessaire. « Ce que les professionnels attendent, c’est d’avoir un interlocuteur clairement identifié et légitime au sein de l’Etat local pour interpeller les différents services », résume l’Irdsu.

A en croire les professionnels ayant répondu à l’enquête, il serait illusoire de compter sur les délégués du préfet : ils estiment, dans leur majorité, que « leurs missions sont encore trop mal définies et mal coordonnées avec le réseau d’acteurs locaux ». « La posture de l’Etat local est déterminante, tempère l’Irdsu, parfois facilitante quand il assure une fonction de mobilisation et de coordination des services ou de relais actif avec la coordination nationale. Ou contre-productive, quand il peine à mobiliser, travaille en vase clos ou s’en tient à des injonctions ».

Des répondants ont également évoqué les ravages de la RGPP (Révision générale des politiques publiques), qui aurait, selon eux, « déstabilisé l’organisation locale de l’Etat et affaibli sa capacité à jouer véritablement un rôle de co-animateur des projets ».

A signaler que seulement 39% des professionnels assurent qu’un travail sur la future mobilisation des crédits européens 2014-2020 a été entrepris en faveur des futurs contrats de ville (ils étaient 15% dans l’enquête 2012).

C’est pas gagné non plus pour les collectivités !

Ce n’est pas vraiment mieux dans les collectivités. 53% des professionnels déclaraient ainsi, à la fin de l’année 2013, qu’aucun travail d’identification des moyens de droit commun de leur collectivité n’avait été mené ! Et s’il avait été fait, c’était rarement dans le cadre d’un travail global d’état des lieux. Et 20% des répondants ne savent pas si ce travail d’identification a été mené ou non.

Cependant, tout n’est pas perdu. 63% des professionnels disaient tout de même parvenir à interpeller les services de droit commun de leur collectivité. Les conditions sont de deux ordres. D’abord, la légitimité politique et technique de l’équipe-projet « politique de la ville » doit être évidente, et traduite dans l’organigramme « par une proximité directe avec le niveau de pilotage stratégique (DG et élus) », souligne l’Irdsu. Il y a ensuite les interactions entre les services et les « relations interpersonnelles » entre agents.

Une meilleure mobilisation du droit commun dans leur collectivité passerait ainsi, pour 75% des répondants, par « une évolution au sein de leur collectivité » qui affirmerait « la légitimité transversale » de l’équipe-projet. Ce qui nous amène directement à la question épineuse du rôle de pilotage de l’intercommunalité.

Intercommunalité et communes se partagent le pilotage

Sur cette question, les résultats de l’enquête sont quelque peu brouillés du fait de la forte proportion, parmi les répondants, des professionnels d’Ile-de-France – région où l’intercommunalité est encore par endroit « en construction », comme on dit pudiquement. Hormis ce biais, « dans la majorité des cas, l’organisation repose déjà sur un pilotage partagé dans lequel l’intercommunalité a petit à petit assuré son rôle d’animation », relève l’Irdsu. Le modèle le plus fréquent est alors celui d’une équipe-projet avec une « coordination » intercommunale (un poste de chef de projet, voire un service) et un réseau d’agents dans les communes concernées. Deux thèmes demeurent structurants du rôle de l’intercommunalité et ont servi de point d’appui pour définir son rôle : l’emploi/développement économique et l’habitat.

Or 50% des répondants jugent que la répartition des rôles intercommunalité/communes n’est pas satisfaisante (12% étant sans opinion, ce qui ne laisse que 38% à estimer leur situation satisfaisante).

A chaque territoire de définir sa « gouvernance partagée »

« Ce qu’ils remettent en cause, ce n’est pas forcément la nature de la répartition mais plutôt le fait que le modèle n’est pas abouti et est souvent instable », commente l’Irdsu. « Et cela est dû à des arbitrages locaux qui n’ont pas été faits ou à des résistances pour donner une dimension intercommunale à la solidarité avec les territoires les plus pauvres », ajoute-t-elle.

Un résultat est, de ce point de vue, éloquent : 67% des répondants à l’enquête affirment que les modalités d’élaboration des futurs contrats de ville n’ont pas été définies (et 13% ne savent pas si cela a été fait ou non). Suite logique : 72% témoignent de l’absence de révision de l’organisation locale en vue de cette échéance.

Selon l’Irdsu, « il ne s’agit pas de s’orienter vers un pilotage exclusif de l’intercommunalité, ni vers une répartition artificielle entre ‘stratégique’ et ‘opérationnel’ entre intercommunalité et commune(s) ». Sa recommandation : « développer une gouvernance partagée où la répartition des rôles – à définir localement – s’appuie sur la capacité de l’intercommunalité à être chef de file, à proposer une vision globale, des instances de pilotage et la mutualisation de moyens ».

Participation des habitants : on part de loin

L’enquête montre que deux autres piliers de la réforme de la politique de la ville n’ont pas encore de fondation sur le terrain : la participation des habitants et les outils d’observation.

La route sera longue si on en croit l’enquête, qui montre la très faible démocratisation des dispositifs actuels de participation citoyenne.

D’ailleurs, un tiers des répondants déclare qu’il n’y a aucun dispositif spécifique de participation. La participation d’habitants à des instances de pilotage régulières n’est évoquée dans aucun cas. Enfin, personne ne témoigne d’une quelconque démarche allant dans le sens du développement du « pouvoir d’agir » des habitants, cher à Marie-Hélène Bacqué et Mohamed Mechmache (voir notre article ci-contre du 9 juillet 2013).

Là encore, ce n’est pas par manque de conviction, car 67% des répondants considèrent que l’ingénierie locale doit évoluer pour prendre en compte cet enjeu. Il faudrait donc revoir explicitement ses missions (« pour lui donner une assise politique », précise l’Irdsu) et organiser des formations à grande échelle non seulement sur les enjeux de la participation mais aussi sur les méthodes.

 Observation : mais que fait l’intercommunalité ?

Cela fait plusieurs années que l’Irdsu alerte du manque de moyens et de compétences en matière d’observation. Plus d’un tiers des territoires ne dispose pas de dispositifs structurés d’observation. Dans un cas sur deux, le bilan des Cucs n’a pas été réalisé et dans un cas sur cinq rien n’est prévu pour le faire !

« Le risque des prochains mois, prévient l’Irdsu, est de focaliser l’attention sur la géographie prioritaire au détriment du travail nécessaire de diagnostic et d’élaboration d’une stratégie territoriale qui ne peut pas se réduire à la définition des périmètres réglementaires ». Or « une logique de regard focalisé et d’intervention exclusive sur ces quartiers ne permettra aucun développement », insiste-t-elle.

Pour la majorité des professionnels interrogés, ce n’est pas tant de moyens nouveaux dont ils auraient besoin, mais « d’une meilleure stratégie globale d’observation s’appuyant sur les moyens existants ». Et là encore, ils attendent que l’intercommunalité tienne son rôle.

Alors, que faire ?

La démonstration est faite : les professionnels, sur le terrain, de la politique de la ville ne sont pas prêts pour les contrats de ville 2015-2020 tels qu’ils ont été voulus par le gouvernement et la loi.

L’Irdsu n’en reste naturellement pas là. Elle suggère d’abord d’étaler les signatures « durant l’année 2015, au fur et à mesure de l’arrivée à maturité des projets locaux ».

Ensuite, que les contrats de ville soient sur le modèle des « contrats-cadres » c’est-à-dire « qui posent les objectifs stratégiques et les engagements partenariaux » et « qui puissent être complétés par des conventions thématiques et/ou territorialisées, elles-mêmes à finaliser en prenant en compte le temps nécessaire à leur élaboration par les acteurs locaux ».

Enfin, il ne faudrait pas envisager ces contrats « comme des programmes d’organisation et d’action figés, mais bien comme un cadre de travail qui pose les conditions de son évolution, de sa progression au cours de la période de contractualisation« .

Attendre « la maturité des projets locaux » risque fort de ne pas plaire à la nouvelle ministre en charge de la Ville. Najat Vallaud-Belkacem, qui devra en effet présenter rapidement des résultats, privilégiera-t-elle la souplesse ou l’injonction ?

(*) L’analyse de l’IRDSU s’appuie également sur des échanges menés entre octobre 2013 et février 2014, ainsi que des apports de membres de l’association concernés par les sites en préfiguration des contrats de ville.

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