De quoi le pouvoir d’agir est-il le nom ?

De quoi le pouvoir d’agir est-il le nom ?

Depuis quelques années, un certain nombre d’initiatives sociales en France se réclament de la notion de « pouvoir d’agir », traduction toujours incomplète et bancale du concept d’empowerment3.Récemment, elles se sont même constituées en Collectif national et ont fait l’objet d’un rapport public auprès du Ministre de la Ville.

Ce mouvement fait émerger un certain nombre de questions : avons‐nous là affaire à de nouvelles formes d’actions collectives ? Est‐il la conséquence de politiques économiques « néolibérales » qui tendent à responsabiliser toujours plus certains citoyens, ou bien une réhabilitation des subversions autogestionnaires ?

A défaut d’être complet, cet article trace quelques pistes de réflexions à destination de celles et ceux qui s’interrogent sur ces initiatives à partir de trois questions : de quelles pratiques sociales parle‐t‐on ? Pourquoi émergent‐elles aujourd’hui en France ? Comment s’articulent‐elles ou non avec les politiques publiques de solidarité ?

De la diversité des expériences

Peut‐on vraiment regrouper sous une même stratégie la création de collectifs d’habitants porteurs de nouvelles solidarités locales au sein d’un centre social lyonnais (association Quartier Vitalité) et l’accompagnement à la structuration de collectifs de femmes dans cinq quartiers du nord de Paris (association Asmae) ? La fondation d’une Alliance Citoyenne à Grenoble porteuse de combats sur les conditions d’emploi de travailleurs précaires ou l’accueil des étudiants étrangers à l’université8 et les universités populaires animées par ATD Quart‐Monde ?

Ces différentes actions se distinguent les unes des autres dans leurs stratégies et dans l’identification des ressources à l’origine du pouvoir des habitants. Certaines proposent que les « habitants » apprennent à s’organiser par eux‐mêmes. On pourrait ainsi citer les expériences d’auto‐réhabilitation. C’est le réseau Voisins, Citoyens Méditerranée qui en propose la forme la plus élaborée, avec une affirmation de la nécessité de la « fraternité en actes »

D’autres prônent plutôt une stratégie de plaidoyer des « citoyens » qui revendiquent une reconnaissance de leurs intérêts. Cette stratégie peut consister à attiser le « feu de la colère » par la confrontation systématique avec des adversaires identifiés, dans la ligne proposée par Saul Alinsky4 : c’est le cas de l’Alliance Citoyenne à Grenoble.

Certains acteurs associatifs peuvent préférer la concertation « conciliante » avec les pouvoirs publics pour résoudre tel ou tel problème. Cette stratégie valorise les prises de parole plutôt que les prises de pouvoir. Dans ce cas, ce sont les formes du débat qui doivent permettre de formuler de nouveaux

compromis plutôt que la création d’un rapport de force. Une multitude de techniques issues de la tradition de l’éducation populaire sont alors mises à profit : tours de parole, jeux de rôles, alternance entre petits et grands groupes…

Les actions collectives se rassemblant en France autour du « pouvoir d’agir » se font donc davantage autour d’une aspiration partagée que d’une méthodologie et d’une stratégie commune.

Chacune de ces expériences valorise l’action collective, en opposition à la fois à l’accompagnement strictement individuel des difficultés vécues par des populations et à la planification de programmes publics conçus par des experts. Elles sont toutes marquées par le désir d’affirmer que les problèmes sociaux doivent être affrontés en formant un ou plusieurs groupes. En cela, l’empowerment nord‐américain rejoint une éducation populaire à la française (« voir, juger, agir »), qui ne se limiterait pas aux enfants comme c’est souvent le cas actuellement.

Ces actions collectives sont le plus souvent organisées au niveau local. Mais si c’est toujours l’échelle où les problèmes sont vécus, leur résolution dépend parfois d’autres niveaux. Ainsi, l’Alliance Citoyenne s’est organisée sur les communes du centre de Grenoble, mais les foyers fiscaux les plus riches de cette agglomération sont installés sur les communes des contreforts ensoleillés du Vercors. Là‐bas, les impôts locaux sont bas, alors que ces ménages profitent des équipements payés par des personnes de milieu populaire ou de classe moyenne de Grenoble et des communes adjacentes. Comment agir pour modifier la solidarité fiscale entre ces communes ? Comment développer le pouvoir d’agir des personnes appauvries, dans ce cas ? Autre exemple : comment s’assurer que les moyens revendiqués par des parents pour leur école ne soient pas alloués au détriment de ceux qui se taisent ? Comment agir sur le niveau national et a fortiori sur le niveau européen, qui prédétermine de plus en plus nos règles de vie commune ? Autant de questions que les expériences visant le développement du pouvoir d’agir laissent en suspens.

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