Depuis de nombreuses années, les équipes du groupe Reflex entendent de manière récurrente des locataires du parc social confrontés aux nuisances sonores. Cette petite musique lancinante signifie-t-elle que ces habitants seraient plus exposés au bruit que d’autres : un parc peu ou mal isolé ? Des cohabitations difficiles entre ménages ne partageant pas les mêmes rythmes et modes de vie ? Un renoncement à faire appel aux bailleurs faute de réponses ? Et pourtant, cette question semble passer largement sous les radars. C’est pourquoi il nous a semblé important d’éclairer le sujet en menant l’enquête : mesurer l’ampleur de la question, en comprendre les dimensions, en apprécier leurs conséquences.
Le bruit fait partie du quotidien, nous y sommes toutes et tous confrontés dans notre vie familiale, sociale ou professionnelle. On pense souvent aux bruits “majeurs”, une autoroute, une voie ferrée, un aéroport. Pourtant, étant amenés à échanger très souvent avec les habitants des quartiers populaires, nous avons pris conscience que les “bruits du quotidien”, que l’on entend tous les jours dans son logement, constituent une préoccupation majeure pour les habitants des quartiers. Très régulièrement, nous sommes interpellés sur la dimension “insupportable” de ce bruit : celui de la chasse d’eau du voisin, de sa télé, des enfants du dessus qui courent, du glouglou des canalisations, du tching de l’ascenseur, des pas dans la cage d’escalier, du ronron de la ventilation mécanique. Ils nous racontent l’impact sur leur vie quotidienne.
Pourtant, cette problématique apparaît dans l’angle mort, qu’il s’agisse des politiques publiques du logement comme des stratégies de réhabilitation des bailleurs sociaux. Les interventions sur les logements existants se concentrent surtout sur la performance énergétique, avec une isolation par l’extérieur qui vient réduire sensiblement les bruits de l’extérieur mais vient parfois renforcer le ressenti des bruits intérieurs. Même les logements neufs souffrent souvent d’un défaut d’isolation phonique.
L’impact du bruit sur la santé des habitants ne peut pas être négligé.
Au-delà des atteintes auditives générées par l’exposition à des bruits forts, le bruit affecte l’ensemble de l’organisme même à des niveaux qui paraissent supportables. Dans le logement, le bruit prend une dimension toute particulière car le “chez soi” est un lieu fortement investi affectivement (refuge, liberté d’être soi-même, intimité d’une vie familiale…). Le bruit est alors vécu comme une intrusion, une perte de contrôle entraînant des effets sur la santé.
Le bruit est d’abord facteur de stress, avec des perturbations physiologiques et organiques bien documentées dans la littérature scientifique. Le bruit altère également la structure et la qualité du sommeil, même s’il n’y a pas de perception consciente de réveil, entraînant une activité cérébrale nuisant au repos. Ces deux facteurs, stress et mauvais sommeil, se traduisent par des effets négatifs sur la santé : les études en santé publique montrent notamment la prévalence des maladies cardio-vasculaires et des troubles anxio-dépressifs directement liés à l’exposition au bruit.
Tous ces impacts sur la santé vont avoir des effets sur la vie quotidienne : baisse de vigilance, fatigue, irritabilité. La situation des enfants est particulièrement importante. Des études ont ainsi mis en évidence les effets sur les apprentissages, et donc sur la réussite scolaire.
Partant du constat que cette question du bruit dans le logement est un sujet dont les politiques publiques du logement parlent peu, mais qui affecte beaucoup les locataires des quartiers défavorisés, et d’une littérature scientifique pourtant conséquente quant aux effets sanitaires, nous avons ressenti le besoin d’alerter en donnant la parole aux principaux intéressés.
Méthodologie
L’enquête a été conduite auprès de 500 personnes dans dix quartiers prioritaires de la politique de la Ville (QPV) de 5 villes françaises : Rennes, Bordeaux, Paris, Saint-Denis, Lyon.
Le choix des terrains d’enquête a permis d’interroger des locataires habitant une diversité de parcs sociaux : constructions récentes ou anciennes ; immeubles réhabilités et non réhabilités ; typologies d’immeubles diversifiées – tours, barres, petits immeubles résidentiels, urbanisme de dalle ; contextes urbains de proximité contrastés – en bordure d’axes circulés ou à proximité d’un square…
Les 500 questionnaires ont été passés sur l’espace public à proximité des immeubles. La grille d’enquête a été construite de façon à mettre en perspective la perception du bruit par les personnes avec leurs trajectoires et perspectives résidentielles, leur mode de vie et d’occupation du logement, les qualités phoniques (perçues) du bâti. Il s’agissait par ailleurs d’appréhender les impacts du bruit sur leur vie quotidienne, leur sommeil et leur santé.