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Participation des habitants : les conseils citoyens changeront-ils la donne ?
Mesure phare du pilier « participation » de la loi Lamy, les conseils citoyens sont encore en cours d’installation dans la majorité des quartiers prioritaires. Les habitants pourront-ils raccrocher les wagons des contrats de ville, qui seront bientôt signés un peu partout ? Périmètre, désignation des membres, rôle des conseils et relations avec la commune… Panorama des questions que se posent les élus pour tenter de se saisir de cet « ovni institutionnel ».
La participation des habitants constitue depuis l’origine le serpent de mer de la politique de la ville. La loi du 21 février 2014 de « programmation pour la ville et la cohésion urbaine », dite loi Lamy, a introduit plusieurs obligations en la matière, dont celle de mettre en place un conseil citoyen dans chaque quartier prioritaire. Définis par la loi, le rôle et les modalités de constitution et de fonctionnement de ces comités ont été détaillés par la suite dans un « cadre de référence ».
A la différence du conseil de quartier qui n’a qu’un rôle consultatif, l’ambition du conseil citoyen est de permettre aux habitants de participer au processus d’amélioration de leur quartier, dans une logique de coconstruction. Il est ainsi prévu que les conseils citoyens soient « associés à l’élaboration, à la mise en œuvre et à l’évaluation des contrats de ville » et, qu’à ce titre, ils soient représentés dans « toutes les instances de pilotage du contrat de ville ».
Cas « rarissimes » : le conseil citoyen signe le contrat de ville
Le processus d’élaboration des contrats de ville touche à sa fin. Fin novembre, 397 contrats sur 437 étaient signés, selon le Commissariat général à l’égalité des territoires. Les conseils citoyens, en revanche, sont encore « en majorité en cours de constitution », indique Kaïs Marzouki, chef du bureau Soutien aux associations et participation des habitants au CGET. En septembre, selon une projection du CGET, environ 800 conseils devaient être encore installés, en plus des 380 déjà en place.
Parmi les conseils déjà installés, certains – « rarissimes » selon Kaïs Marzouki – sont signataires du contrat de ville, au même titre que les collectivités, l’Etat et les autres partenaires. C’est le cas à Gap, où des membres du conseil citoyen participent également à toutes les réunions politiques et techniques du contrat de ville. « Pour la plupart » des conseils, on n’en est « pas encore là », estime Kaïs Marzouki.
En effet, explique Benoît Boissière, chargé de développement à l’Inter-réseaux des professionnels du développement social urbain (Irdsu), « on a eu deux calendriers un peu en parallèle » : le calendrier « institutionnel » (et pressé d’aboutir) de la contractualisation et le montage (nécessairement ancré localement, mené « dans la durée ») des conseils citoyens. Si ces derniers mettent du temps à émerger, ce n’est pas forcément mauvais signe, selon lui ; cela peut signifier que chaque territoire prend le temps de trouver ses propres réponses aux questions qui se posent.
Et, face à cet un « ovni institutionnel » qu’est le conseil citoyen pour Kaïs Marzouki, il ne semble pas forcément interdit de prendre quelques libertés avec la loi.
1.500 quartiers, 1.200 conseils… Quel périmètre ?
A commencer par le périmètre d’intervention des conseils. Si le CGET s’attend à en dénombrer moins de 1.200, c’est bien qu’il n’y en aura pas un pour chacun des 1.500 quartiers prioritaires. Les équipes locales – Etat-commune-intercommunalité – ont souvent opté pour des regroupements (un conseil pour deux quartiers ou plus). C’est le cas à Plaine Commune (Seine-Saint-Denis). Dans les 24 quartiers prioritaires des neufs villes de l’agglomération, 18 conseils citoyens devraient bientôt émerger, selon Sandrine Joinet Guillou, responsable de la politique de la ville à la communauté d’agglomération.
A l’inverse, dans certains territoires, les conseils citoyens seront plus nombreux que les quartiers prioritaires. Certaines villes se sont en effet saisies de l’alinéa 2 de l’article 7 de la loi Lamy autorisant le maire à décider que « le conseil citoyen (…) se substitue au conseil de quartier ». A Mulhouse, les six conseils citoyens installés en avril 2015 ont ainsi remplacé les 16 conseils de quartier préexistants. En constituant des ensembles cohérents comprenant à chaque fois une partie de territoire prioritaire et une partie qui ne l’est pas, le parti pris a été de « rassembler, [d’] aller vers de la mixité de quartier », précise Christine Edel, directrice de la participation citoyenne à Mulhouse.
Tirage au sort : « aucune liste en elle-même n’est suffisante »
Selon la loi, « le conseil citoyen est composé, d’une part, d’habitants tirés au sort dans le respect de la parité entre les femmes et les hommes et, d’autre part, de représentants des associations et acteurs locaux ». Et le cadre de référence précise : « sans qu’un pourcentage ne soit imposé, le collège ‘habitants’ doit constituer a minima 50% des membres du conseil citoyen ».
La question du choix de la liste ou des listes d’habitants pour le tirage au sort a été sans conteste l’une des plus épineuses à résoudre. N’ayant pas obtenu l’autorisation des services fiscaux pour utiliser les listes liées à la taxe d’habitation, les villes de Plaine Commune se sont finalement rabattues sur les listes électorales. Insatisfaisantes, puisqu’elles ne comprennent pas les personnes de nationalité étrangère, ces listes ont pour seul avantage de capter « les jeunes » inscrits désormais automatiquement à l’âge de 18 ans, rappelle Sandrine Joinet Guillou. Finalement, le tirage au sort s’effectuera sur la base de listes issues d’un croisement entre les listes électorales et celles de la Caisse d’allocations familiales (CAF).
N’aurait-il pas été plus simple d’avoir une seule liste de référence, mise à disposition des acteurs locaux ? « Le CGET n’en a préconisé aucune car absolument aucune liste en elle-même n’est suffisante », répond Kaïs Marzouki. Ce dernier admet toutefois que, faute de pouvoir disposer des listes des bailleurs ou d’autres, « beaucoup » de territoires ont dû se résoudre à utiliser les listes électorales.
Mobiliser les habitants par cercles concentriques
Autre solution qui semble avoir été souvent privilégiée : la constitution de listes de volontaires, établies à l’issue d’actions de communication plus ou moins poussées (tracts dans les boîtes aux lettres, réunions d’information, porte-à-porte, etc.). Parmi les volontaires, une partie des membres du conseil sont alors désignés par tirage au sort.
A Gap, la mobilisation des habitants a été menée par cercles concentriques : les professionnels (responsables de centre social, équipes de prévention spécialisée, etc.) ont d’abord chacun invité deux ou trois habitants volontaires à participer à une réunion ; puis, ces habitants sont eux-mêmes allés déposer des tracts dans les boîtes aux lettres pour « inviter les habitants en leurs noms » à la prochaine réunion, rapporte Viviane Lefeuvre, directrice de la politique de la ville et de l’emploi à la ville. Le conseil citoyen est finalement composé uniquement d’habitants, les professionnels intervenant dans le quartier du Haut Gap étant tous liés d’une façon ou d’une autre à la municipalité.
Pour répondre à l’ensemble des critères – mobiliser les habitants les plus éloignés des dispositifs, des femmes pour obtenir la mixité, des jeunes… -, la ville de Mulhouse s’est en partie appuyée sur ses anciens conseillers de quartier. A l’issue d’un tirage au sort parmi 500 candidats (dont 37% d’anciens membres des conseils de quartier), « un vrai renouvellement » peut être observé, selon Christine Edel. A Mulhouse, chaque conseil citoyen est composé de trois collèges : les habitants des quartiers prioritaires, les habitants des autres quartiers et les « acteurs ».
En février 2015, selon une enquête menée par l’Irdsu, « la répartition 50/50 [était] largement majoritaire » entre le collège « habitants » et le collège « acteurs », pour la minorité de territoires qui avaient déjà précisé la composition de leur conseil.
Le défi de la collectivité : aider le Conseil à trouver sa place sans « interférer »…
Jusqu’à présent, « les communes ont été la plupart du temps surinvesties », observe Kaïs Marzouki. Les conseils citoyens ne sont donc pas encore « complètement adultes ». C’est l’autre défi de taille pour les pouvoirs publics locaux : celui de parvenir à trouver le juste équilibre entre, d’une part, la nécessité d’apporter un appui au conseil pour lui permettre de démarrer et de fonctionner et, d’autre part, l’atteinte du réel objectif de la loi, à savoir l’autonomie, l’indépendance d’un conseil appelé à voler de ses propres ailes…
« L’installation d’un mode de fonctionnement un peu serein ne va pas de soi, ça prend du temps », confie Christine Edel. A Mulhouse, une « agence de la participation citoyenne », chargée d’accompagner les habitants, a été mise en place dans le cadre de la démarche « territoire hautement citoyen ». L’agence – au statut de régie personnalisée – rassemble dans son conseil d’administration des élus municipaux, des partenaires institutionnels et associatifs et des représentants des conseils citoyens. L’équipe municipale est dans ce cadre « à disposition, mais ne s’impose pas », selon Christine Edel.
L’intervention d’un tiers semble, dans un premier temps, inévitable. Après l’installation des conseils en décembre, Plaine Commune proposera une mission d’accompagnement à maîtrise d’ouvrage (AMO) pour fournir un apport en ingénierie et un appui institutionnel et juridique aux conseils.
De l’ingénierie, des locaux, des moyens…
Il s’agira notamment d’aider chacun à opter pour le statut le plus adapté. En février 2015, selon l’enquête de l’Irdsu, le portage associatif était plébiscité, « en particulier par une association dédiée ou par un centre social ». Pour Sandrine Joinet Guillou, un tel accompagnement doit cependant n’être que transitoire, il pourrait être suivi à Plaine Commune de formations adaptées aux besoins spécifiques des membres du conseil (formation aux techniques d’animation, par exemple).
Outre cet apport en ingénierie et en formation, la question des moyens mis à disposition des conseils se pose. Selon la loi, « un lieu et des moyens dédiés » doivent être prévus et inscrits dans le contrat de ville – des avenants portant sur les conseils citoyens devront, plus globalement, être apportés aux contrats déjà signés. Selon le nombre de quartiers prioritaires et les facilités mises à la disposition des communes et intercommunalités, ces moyens pourraient être assez différents d’un territoire à l’autre. Un abondement de l’Etat est toutefois prévu dans le cadre du contrat.
A Gap, la ville a mis à disposition une salle et l’Etat a alloué au conseil, en 2015, une enveloppe de 5.000 euros ayant servi à financer des équipements informatiques, des actions de communication et la première action du conseil – l’organisation d’un forum citoyen.
A quoi sert un conseil citoyen ?
Une fois toutes ces questions – périmètre, composition, moyens… – résolues, les conseils citoyens pourront enfin se concentrer sur l’essentiel : se demander que faire et dans quel but. A Gap, le conseil citoyen constitué en association – « association citoyenne du Haut-Gap » – en est là. Pour être présents partout, ses membres se sont répartis les différentes instances du contrat de ville – comité de pilotage, réunions techniques sur l’éducation, l’emploi, etc. S’appropriant petit à petit le contrat de ville, ils pourront bientôt s’en faire l’écho auprès des autres habitants. Lors du forum citoyen qu’ils ont organisé en octobre, les membres du conseil citoyen ont cherché à se faire connaître et à valoriser les porteurs de projets du contrat de ville. Ces derniers sollicitent désormais le conseil sur leur projet.
Pour Viviane Lefeuvre, toute la difficulté sera, pour les membres du conseil, de bien clarifier leur positionnement, d’être en appui, de faire le lien, sans pour autant participer eux-mêmes à la mise en œuvre des projets. Les membres du conseil, bénévoles, ont déjà déployé « beaucoup d’énergie »… Pour assurer à la fois de la souplesse et de la continuité, le conseil de Gap a convenu qu’il était possible de démissionner au cours du mandat, mais que la personne devrait alors trouver son remplaçant.
Autre difficulté relative au positionnement : comment « faire le lien » avec les habitants sans les « représenter » ? Dans l’esprit du dispositif, les membres des conseils citoyens sont invités à être, en quelque sorte, des « experts du vécu » de leur quartier, à échanger avec les acteurs institutionnels comme avec les autres habitants, mais à ne parler qu’en leurs noms…
« Les conseils citoyens, on les verra à mi-mandat »
Pour Benoît Boissière, la simple présence des habitants dans le comité de pilotage du contrat de ville a déjà démontré des effets. Cela oblige selon lui les acteurs locaux à « une sorte d’exigence globale, de pédagogie ». Il ajoute : « l’enjeu de la mobilisation du droit commun est très lié à celui des habitants : les habitants parlent d’école (et non pas de réussite éducative), de logement… Ils ont de fait une vision transversale ».
L’équation, complexe, nécessite cependant du travail, des efforts d’adaptation et de l’humilité – de la part des habitants comme de celle des élus et des professionnels. Pour que les habitants membres du conseil soient suffisamment motivés pour maintenir leur implication dans la durée, ils doivent pouvoir cerner précisément leur rôle, comprendre comment ils vont pouvoir influencer les pouvoirs publics.
Cet enjeu sera l’un des points à l’ordre du jour du prochain comité de suivi national des conseils citoyens, qui aura lieu en février 2016 sous la présidence du ministre de la Ville, précise Kaïs Marzouki. Il y sera aussi question de la mise en place de réseaux, de « regroupements de type départemental pour favoriser le dialogue et l’échange de pratiques entre les conseils citoyens eux-mêmes ». D’ici là, le CGET aura conduit une nouvelle enquête sur la mise en œuvre des conseils. Avant de mettre en place des indicateurs permanents de suivi, dans le cadre du nouvel observatoire de la politique de la ville, en cours d’installation. « Les conseils citoyens, on les verra à mi-mandat, conclut Kaïs Marzouki, il faut du temps. »
Caroline Megglé