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Ce qu’un urbaniste apprend au théâtre
par Thibault Lecourt, le 11/12/2013 À propos de trois pièces de théâtre urbain participatif, créées avec des habitants d’Alfortville, Guyancourt et Bagnolet et mises en scène par Stéphane Schoukroun, Thibault Lecourt nous livre une expérience sensible de la ville.Lorsque je vois cet employé du technocentre Renault de Guyancourt raconter comment une nuit, avec ses collègues bloqués par la neige, son lieu de travail s’est animé en lieu de vie, je me dis que Stéphane Schoukroun a touché juste. Stéphane est le metteur en scène de trois créations théâtrales collectives avec des habitants d’Alfortville (Val-de-Marne), de Guyancourt (Yvelines) et de Bagnolet (Seine-Saint-Denis) ; j’ai participé en tant qu’habitant à la première, et en tant qu’assistant metteur en scène à la dernière. Je m’aperçois que ces trois créations ont au moins cela en commun : elles parlent de la ville comme je rêve d’en parler en tant que jeune urbaniste. Elles mettent en scène les préoccupations qui traversent les faiseurs de villes aujourd’hui : la difficulté de faire des villes vivantes, humaines et habitées.
De l’espace scénique à l’espace public : un théâtre qui donne la parole aux habitants
Le moteur de ces pièces, ce sont les paroles des habitants. D’abord, de ceux qui participent directement à l’expérience, avec leurs histoires personnelles, leurs imaginaires, les matériaux qu’ils apportent (photos, livres…). Mais ce sont aussi les paroles des autres habitants, qui sont enregistrées, filmées, racontées… Le tout après un travail d’enquête, en ville, enregistreurs et questionnaires à la main.
Cette forme de théâtre participatif, dont les habitants sont la ressource principale, entre en résonance avec le foisonnement des expériences urbaines alternatives, en dehors des formes d’organisation centralisées et descendantes, qui réconcilient le citoyen avec le politique : cafés associatifs, jardins partagés, fermes pédagogiques, épiceries solidaires, mobilisations sociales locales, universités populaires, urbanisme, architecture ou paysagisme participatifs… Toutes ces initiatives ont en commun la place centrale et première donnée à l’habitant et la volonté de s’émanciper de l’impératif de rentabilité économique. Elles créent un espace en marge, où l’on s’arrête un instant pour inventer un autre rapport au monde. Stéphane élabore ses créations sur le même principe : « J’arrive, je suis vide. Je regarde le groupe, j’écoute. Je fais durer les pauses, et j’écoute ce qui se dit. Je ne demande pas s’ils ont appris leur texte, mais s’ils ont passé une bonne semaine. Et là, j’ai une scène à monter ». Ce sont les pauses, les moments où l’on n’est pas sollicité, mais où l’on est vraiment présent à soi, qui sont fécondes. Les habitants-comédiens alors, avec le metteur en scène, inventent chaque scène, puis la réinventent à chaque répétition, improvisent à nouveau à chaque représentation. « Il faut faire avec le réel». Le niveau de stress, les ratés, les surprises, la météo sont autant de particularités qui rendent chaque représentation vivante, parce qu’elle est au présent.