Renaud Gauquelin, président de « Ville & Banlieue », rêve « de voir l’ACSÉ prendre plus de pouvoir et l’ANRU en perdre »…

Lu dans « le Courrier des Maires »

Renaud Gauquelin, président de Ville & Banlieue : « Les dispositifs de droit commun doivent aller en priorité aux territoires en difficulté »

par Marion Esquerré 
Le projet de loi de programmation pour la ville et la cohésion urbaine passera devant le Sénat le 14 janvier 2014. L’association des maires Villes et Banlieue de France (AMVBF) attend du texte définitif qu’il précise le rôle du maire dans les futurs « contrats de ville » et les modalités de la participation des habitants à la politique de la ville, et qu’il donne plus de place au volet « cohésion sociale et égalité des chances » à côté du volet « rénovation urbaine ».

Entretien avec Renaud Gauquelin, maire de Rillieux-la-Pape (Rhône) et président de l’association.

 

Courrierdesmaire.fr : Votre association s’est déclarée satisfaite de l’adoption de ce projet de loi en première lecture par l’Assemblée (27 novembre 2013). Pourquoi cette loi vous semblait-elle nécessaire ? 
 

Renaud Gauquelin : Il fallait revoir la géographie prioritaire de la politique de la ville. Nous ne pouvions plus fonctionner avec les mêmes considérations qu’il y a trente ans. Il fallait aussi revoir la durée des contrats avec l’Etat. En particulier dans une période de rigueur budgétaire comme celle que nous traversons, qui voit les subventions aux collectivités diminuer, il nous faut une visibilité à long terme de l’action publique. Or, chaque année, nous nous demandons ce que nous allons obtenir et nous nous retrouvons à monter des dossiers en huit semaines. Je trouve que la période de six ans, correspondant à la durée d’un mandat municipal, est opportune.

 

La création d’un critère unique pour intégrer le zonage prioritaire vous convient-elle ?

 R. G. : C’est un débat qui a agité les nombreuses réunions préparatoires du projet de loi. Certains souhaitaient plusieurs critères selon les caractéristiques de chaque ville. Mais cela aurait conduit à l’opposé de l’objectif de la loi : cibler les quartiers les plus en difficulté et non les quartiers présentant une grande difficulté.

La pauvreté est malheureusement le dénominateur commun à tous nos territoires alors que des critères comme la réussite au collège ou le taux de parents isolés, par exemple, varient d’une zone à l’autre”

D’autres proposaient plusieurs critères mais en nombre limité. Or, finalement, quand on analyse le territoire sur la base de quelques-uns ou du critère unique du revenu, on aboutit quasiment à la même géographie prioritaire. Alors, pourquoi faire compliqué quand on peut faire simple ? 

La pauvreté est malheureusement le dénominateur commun à tous nos territoires alors que des critères comme la réussite au collège ou le taux de parents isolés, par exemple, varient d’une zone à l’autre. Adossé au carroyage choisi par le ministère, ce critère unique me paraît très fiable.

Le projet de loi garantit-il un cadre suffisant pour mobiliser les dispositifs de droit commun en faveur des territoires sortant de la future géographie prioritaire, territoires dits « en veille active » ?

 R. G. : La politique de la ville est une sorte de mutuelle, là où le droit commun correspondrait à la Sécurité sociale. Elle ne peut être qu’un complément du droit commun. Or, dans nos quartiers, y compris avec le gouvernement actuel, nous assistons à une diminution des services publics.

Donc, il faut d’abord faire comprendre aux ministères de droit commun que les dispositifs tels que les emplois francs, les créations de classes et autres doivent aller en priorité aux villes « politique de la ville » et à celles qui en sortiront. La contractualisation entre le ministère de la Ville et les grands ministères de droit commun va dans ce sens. D’ailleurs, nous avons déjà eu des résultats plutôt positifs : 40 % des emplois francs sont allés aux territoires de la politique de la ville. Les créations de classe ont été fléchées en priorité vers ces zones.

Ensuite, reste à s’assurer que les choses seront bien déclinées de manière homogène sur tout le territoire. L’ensemble des services de l’Etat devraient suivre les directives nationales de ce partenariat entre la politique de la ville et les autres ministères. Mais, pour l’instant, ce n’est pas le cas. C’est ce qui nous inquiète. François Lamy nous l’a dit le 9 janvier : son premier objectif après le Sénat est de suivre l’application de la loi. Il n’est pas naïf sur la situation et il a raison. A nous aussi, maires, de mettre la pression pour que les choses se fassent.

Vous êtes favorable au contrat de ville unique à l’échelle intercommunale, instauré par la loi, mais vous estimez que le texte est insuffisamment précis sur le rôle de chaque collectivité. Pourquoi ?

 R. G. : Notre inquiétude était que les subventions de la politique de la ville soient versées aux intercommunalités, comme il en a été question à une époque. Il y a des intercommunalités où les choses se passent bien et d’autres où elles se passent très mal. Aujourd’hui, nous sommes rassurés sur le fait que les subventions iront directement aux communes.

Nous avons obtenu une autre évolution : les rôles respectifs du maire et du président de l’intercommunalité seront clairement précisés dans la loi. A l’intercommunalité le développement économique, les transports ; au maire le lien à l’habitant, le travail des associations, l’évaluation des projets relevant de l’ANRU et de l’ACSÉ… Ces rôles sont complémentaires. Il fallait seulement qu’il y ait un cadre national qui précise les choses pour éviter les éventuelles difficultés sur le terrain.

Votre association s’est félicitée de l’inscription dans la loi de la démarche de coconstruction de la politique de la ville et de la rénovation urbaine avec les habitants. Mais vous souhaitez plus de précisions. Lesquelles ?

 R. G. : Cette coconstruction passera par des conseils. La question est de savoir comment les rendre représentatifs et éviter que quelques individus s’accaparent des problématiques collectives, comme on le voit parfois dans les conseils de quartier. Cela a donné lieu à des débats à l’Assemblée, notamment sur leur composition.

Ces « conseils citoyens » ou « conseils de citoyens » devaient-ils être composés d’électeurs ou d’habitants en général ? Etant donné que les quartiers prioritaires comptent une importante population d’étrangers sans droit de vote, il est évident pour nous que tous les habitants doivent être concernés, électeurs ou pas. Ensuite, comment organiser cela ? Je suis personnellement assez favorable à une élection des représentants des quartiers, immeuble par immeuble.

Enfin, la coconstruction doit concerner aussi bien le volet rénovation urbaine que les autres aspects de la politique de la ville. Pour le moment, l’ANRU occupe toute la place et l’ACSÉ a un rôle trop limité. De ce fait, les habitants ont tendance à réduire la politique de la ville à la « démolition/construction », alors que c’est un domaine qui touche le social, l’humain et auquel il est important qu’ils contribuent.

Pour être clair, je rêve de voir l’ACSÉ prendre plus de pouvoir et l’ANRU en perdre. Nous ne sommes pas près d’assister à une fusion des deux agences mais nous pouvons au moins espérer un partenariat renforcé.

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